
Les cernes des arbres
21 février 2025Lire le passé pour prévoir l’avenir
La dendrochronologie(du grec dendron qui signifie « arbre », et chronos, qui signifie « temps »), est une science qui permet de reconstituer l’histoire des arbres en utilisant les cernes de croissance, ces anneaux concentriques de largeur irrégulière, visibles sur les souches des arbres fraichement coupés.
Si tous les enfants ont essayé de deviner l’âge d’un arbre en comptant ses cernes, le dendrochronologue va plus loin en analysant les variations de largeurs, les variations de densité du bois, les variations de composition chimique, pour comprendre comment l’arbre a réagi à son environnement.
Pourquoi des cernes ?
Les arbres poussent en continu tout au long de leur vie. Plus ils poussent en hauteur et plus ils doivent pousser en largueur pour assurer leur stabilité. Dans les climats tempérés et boréaux, cette croissance en largeur (on dit croissance radiale) suit le rythme des saisons. Elle commence au printemps, plus ou moins en même temps que la pousse des feuilles, et s’arrête en automne, un peu avant la chute des feuilles. Le bois élaboré au printemps est très différent de celui formé en automne. Au final chaque cerne de croissance est parfaitement visible, parfaitement reconnaissable : un cerne égal une année et l’accumulation des années forme des séries de plusieurs siècles.
La largeur des cernes est le résultats de plusieurs contraintes. Par exemple, plus l’arbre est âgé, plus les cernes sont petits (cf. Photo 1). Mais ce qui influence le plus les variations de largeur des cernes se sont les conditions climatiques de l’année. Si l’été est pluvieux, les cernes seront larges ; à l’opposé, en période de sécheresse, les cernes seront fins.

Pour analyser ces cernes sans couper l’arbre, il suffit d’extraire une fine carotte de bois à l’aide d’une tarière de Pressler, nommée ainsi du nom de son inventeur en 1867. Une sorte de biopsie en somme. Après l’extraction des carottes de bois, la dendrochronologue suit trois étapes :
- mesurer la largeur des cernes,
- dater leur formation,
- analyser les causes des variations de largeur de cernes.
Ces variations peuvent être très locales et propres à chaque individus (houppier dégradé par un gros orage ou une tempête, éclaircie des voisins gênants) ; d’autres concernent l’ensemble des arbres d’une parcelle, d’un massif forestier, d’une région entière. Ces dernières signent les effets de contraintes climatiques majeurs comme des gelées tardives, des sécheresses, des été « pourris ».
De surprenantes découvertes et des informations précieuses
En France, l’étude des données dendrochronologiques a permis, depuis plus de cinquante ans de comprendre, essence par essence, les effets du climat (et notamment des sécheresses) sur la vie, la survie ou le dépérissement de nos forêts.
Paradoxalement, on a également mis en évidence l’effet bénéfique de l’augmentation du CO2 et des températures sur la croissance des arbres … jusque dans les années 90. Cet âge d’or est aujourd’hui révolu. Une limite a été dépassée. Les sécheresses intenses et à répétition dégradent aujourd’hui la santé de nos forêts.
Comprendre la croissance des arbres ; identifier les contraintes climatiques les plus délétères, c’est essayer d’anticiper, au moyen des scénarios climatiques, la capacité des arbres à s’accommoder ou non aux nouvelles conditions environnementales pour la fin du 21e siècle. Un chêne planté aujourd’hui ne pourra être récolté qu’à partir de 2225 … au 23e siècle, si d’ici là les contraintes climatiques ne lui ont pas fait passer l’arme à gauche.
Extraire des carottes des arbres, c’est accéder rétrospectivement à toute l’histoire de leur vie. Comprendre et évaluer la résilience des arbres, c’est, en un temps record et à moindre coût, tout le travail des scientifiques experts en dendrochronologie !

Des indications plus complètes qu’il n’y paraît
Outre leurs largeurs, les cernes fournissent bien plus d’informations que la simple croissance des arbres ! Leur radiographie aux rayons X révèle des variations de densité du bois, permettant de mieux comprendre les contraintes climatiques et la quantité de carbone fixée lors de la croissance des arbres. Ces données sont essentielles pour évaluer avec précision le rôle des écosystèmes forestiers dans le cycle du carbone.
L’analyse chimique des cernes fournit des informations détaillées sur le fonctionnement physiologique des arbres, même des années après leur formation. Par exemple, l’étude des isotopes stables du carbone dans le bois peut refléter l’efficacité de l’assimilation du carbone par les feuilles. Cette analyse a révélé qu’au cours du dernier siècle, certaines espèces sont devenues plus efficaces dans l’utilisation de l’eau : pour la même quantité d’eau consommée, leur assimilation de carbone a été supérieure à celle observée au début de l’ère industrielle. Ces découvertes, rendues possibles grâce à la dendrochronologie, permettent de suivre les changements dans le fonctionnement des arbres à court, moyen et long terme.